Il est 16 heures le 14 avril 2014 lorsque Mehdi B. se rend chez son avocat. Le jeune homme de 27 ans conduit une voiture de location quand des hommes cagoulés arrivent à sa hauteur, sur l’autoroute A7, quelques mètres avant la sortie Plombières. Ils tirent sur le véhicule de la victime qui s’arrête en pleine voie. Mehdi B. – membre d’un réseau de trafic de drogues basé dans la cité des Flammants (14e ardt) – tente de s’enfuir à pied mais il est tué de plusieurs balles de kalachnikov.

Le 18 juillet 2014, alors qu’il circule sur son scooter aux abords du rond-point de Sainte Marthe (14e ardt), Zakary R. est renversé par une voiture. Il tombe de son véhicule, tente de prendre la fuite à pied mais n’a pas le temps d’aller très loin. Le jeune homme de 24 ans – membre d’un réseau de trafic de drogues basé dans la cité Font-Vert (14e ardt, également) – est tué par une quarantaine de balles de kalachnikov.

Le règlement de compte visant Zakary R. fait écho au meurtre de Mehdi B. trois mois plus tôt : même mode opératoire, même arme utilisée et même violence. Rien d’anormal : l’homicide du 18 juillet semble être le “match retour” du règlement de compte du 14 avril.

Autre cas le 13 mars 2013 : Hichem A. et Rochdi G., deux jeunes de 18 et 25 ans, sont tués par balles en plein jour, au pied des immeubles de la cité des Bleuets (13e ardt).

Le quartier, pourtant réputé calme, est le théâtre d’un nouveau règlement de compte le 20 juin 2015, lorsque Abdallah A., 28 ans, est tué par trois tirs d’une arme de poing de calibre 9mm. Connu des services de police pour des trafics de stupéfiants sans pour autant être un “gros profil”, Abdallah A. serait-il lui aussi la victime d’un match retour ? Les enquêteurs, qui ne connaissent pas encore le mobile du crime, ne l’exclut pas, selon une source policière.

Un guet-apens planifié

L’expression de “match retour” qualifie des homicides qui prennent la forme d’une vengeance destinée à répondre, plus ou moins directement, à un meurtre ayant eu lieu précédemment.

Dans le cas de Zakary R. le “match retour” a eu lieu trois mois après les faits. Mais il s’écoule parfois plus de temps avant que la vengeance ne se manifeste. Romain Capdepon, reporter Police et Justice au quotidien La Provence rappelle que certains règlements de comptes et les “match retour” qui les suivent s’échelonnent parfois sur plusieurs années.

Si un “match retour” est une réponse à un règlement de comptes antérieurs, le mode opératoire n’est pas toujours le même. Un autre journaliste marseillais, bon connaisseur de ces dossiers, qui a souhaité conserver l’anonymat, explique qu’il varie du simple coup de couteau dans la rue à des formes beaucoup plus élaborées et spectaculaires.

Une seule caractéristique les relie : ce sont des guet-apens préparés. Un règlement de compte n’est jamais le fruit du hasard et la victime est toujours placée dans une situation dont elle ne peut pas s’échapper. Sur son scooter puis à pied, Zackary R. n’a aucun moyen d’éviter les tirs de ses agresseurs. De même Abadallah A., ciblé sous un porche, sans aucun moyen de locomotion.

Les armes utilisées ne sont pas forcément les mêmes. Ce sont souvent des kalachnikovs car elles sont des armes faciles à manier et demandent très peu d’entretien. Mais les agresseurs peuvent aussi utiliser des armes de poing, comme un calibre 9mm dans le cas de l’homicide d’Abdallah A.

Stéphane Quéré, expert en criminologie explique, ajoute dans un entretien téléphonique, que ces “match retour” sont souvent délicats à relier à des affaires précédentes, notamment à cause de la diversité des modes opératoire :

Tout est bon dans le “match retour”. Il peut adopter une autre forme que l’on appelle le “drive by shooting”: on tire sur un groupe de personnes alors que le véhicule est en déplacement.

Stéphane Quéré - expert en criminologie

Dans le cas du “drive by shooting” (qui consiste à tirer sur un groupe de personnes alors que le véhicule est en déplacement) le lien est encore plus difficile à établir car les personnes ne sont pas visées en tant qu’individus mais parce qu’elles représentent le clan rival ou parce qu’elles sont sur le territoire de ce clan, sans lien obligatoire avec celui-ci.

Un long travail de recherche pour la police

D’après Stéphane Quéré, lorsqu’un homicide est commis dans le milieu criminel les policiers essaient d’évaluer rapidement quelles sont les forces en présence et ce qui les relient, afin d’anticiper d’où viendra le coup d’après. Mais les rivalités s’entremêlent, ce qui complique le travail des enquêteurs.

“C’est un vrai travail de renseignement criminel qui est parfois méprisé. Parfois les équipes des clans changent, parfois des hypothèses sont tirées un peu rapidement car on ne connaît pas les spécificités actuelles du clan”, explique Stéphane Quéré.

Pour éviter les “matchs retour”, la police emploie depuis 2012 une méthode pro-active : les enquêteurs essaient de placer en détention certaines personnes dont ils savent, grâce à leurs indics ou aux écoutes téléphoniques, qu’ils vont commettre un assassinat ou qu’ils pourraient en être très prochainement victime.

On cible tous les futurs auteurs ou victimes de règlements de compte, on ouvre des enquêtes tous azimuts sur eux, sur tous les sujets

Source policière

Mais ces cibles ou agresseurs finissent un jour par sortir de priso. Et l’échéance du règlement de compte n’en est que repoussée. Car comme le rappelle Romain Capdepon : “dans ce milieu on a de la mémoire”

La portée symbolique des “match retour”

Plus que la philosophie du “tuer pour tuer”, ces “match retour” – qui tiennent de la vendetta – ont également une portée symbolique. Il est essentiel pour un clan de réagir lorsqu’un de ses membres est visé car l’absence de réponse serait perçu comme un acte de faiblesse, explique Stéphane Quéré.

L’absence de réponse peut attiser la convoitise d’autres réseaux qui diraient alors qu’ils “n’ont pas les couilles de réagir”.

Stéphane Quéré - expert en criminologie

Les modes opératoires sont également un langage. Le “drive by shooting” vise avant tout à fragiliser le clan par le nombre de victimes. Mais il a également pour objectif de marquer les esprits par une attaque perpétrée sur son propre territoire.

La technique du “barbecue” a également une forte portée symbolique. En brûlant le corps de la victime, les auteurs retardent à la fois l’identification et le deuil de la famille, ce qui humilie le clan, particulièrement lorsque celui-ci repose sur les liens de sang. D’après une source policière, c’est “la technique d’intimidation la plus efficace car elle permet à ses auteurs de dire ‘attention ne jouez pas avec nous sinon vous verrez ce qui va vous arriver’.”

Les “matchs retour” constituent donc un rapport de force permanent entre clans rivaux, qui leur permet d’imposer leur autorité et d’impressionner. Si le mobile premier est la vengeance, les bandes cherchent avant tout à imposer leur puissance de feu par le nombre de crimes auxquels elles sont en mesure de répondre et le mode opératoire qu’elles choisissent.