Plus de police ≠ moins de crimes
Malgré des interventions policières régulières et la mise en place de nouvelles actions, les règlements de compte connaissent peu de trève à Marseille. Aussi des questions émergent-elles sur «l’approche globale» mise en oeuvre par la police pour lutter contre le néo-banditisme de cité.
Plus de vingt interpellations, 30 kilos de résine de cannabis et des centaines de milliers d’euros saisis. Le 18 mai dernier, près de 300 policiers, notamment des hommes du Raid et des CRS, investissaient la cité des Lauriers, dans le 13e arrondissement de Marseille. Préparée depuis «près d’un an», selon le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, cette vaste opération s’inscrit dans une logique plus large : faire revenir les forces de l’ordre dans les cités marseillaises pour lutter contre les trafics qui s’y déroulent. Pourtant, quelques mois après, un nouveau règlement de compte sanglant, vraisemblablement sur fond de trafic de drogue, met une nouvelle fois les Lauriers à la une de l’actualité. Trois jeunes, dont deux mineurs sont abattus le 25 octobre. La nouvelle méthode prônée par le ministère de l’Intérieur, baptisée « approche globale » semble battue en brèche.
Une nouvelle méthode «saluée par tous»
Sur le fond, le préfet de police des Bouches-du-Rhône, Laurent Nunez met en avant une logique de «coordination» entre les différents services de police, notamment «pour échanger du renseignement», lors d’un entretien exclusif. Sur le terrain, cette méthode globale se traduit par «le déploiement de CRS dans les quartiers, pour sécuriser l’intervention des autres acteurs».
La particularité de l’approche globale réside dans la durée et la récurrence de la présence policière, qui peut durer «15 jours, trois semaines, voire un mois», rappelle-t-il, estimant qu’elle est «saluée par tous».
Les habitants, concernés au plan premier, semblent plus ou moins satisfaits du déroulement de ces opérations : selon un rapport réalisé à la demande de la préfecture de police portant sur l’évaluation de la méthode globale, 76% des personnes interrogées dans la cité de La Sauvagère estiment que la présence policière a rendu «la vie plus agréable». Au cour de la même période, près de 50% des personnes interrogées à la cité du Clos des Roses considèrent en revanche que cette présence n’a eu “aucun effet”. Malgré ces perceptions contrastées, le déploiement policier a permis d’entamer des travaux de rénovation urbaines dans des cités au sein desquelles «les dealers s’étaient appropriés les territoires à tel point qu’il y avait des contrôles à l’entrée des cités», précise une source policière.
L’objectif de cette nouvelle approche est ambitieux. Il s’agit, pour Camille Allaria, chercheuse en sociologie au CNRS et co-auteure d’un rapport sur l’évaluation de la méthode globale, de «dépasser les méthodes coup de poing qui ne s’inscrivent pas dans la durée», en assurant une présence régulière des forces de l’ordre dans les quartiers les plus sensibles. «On fait en sorte que la population voit du bleu» explique un syndicaliste policier : «l’enjeu était de replacer des policiers en uniforme dans les cités». Mais ce volet répressif est doublé d’un volet social. «L’Etat participe à l’amélioration du cadre de vie des habitants, notamment via la mise en place d’un préfet à l’égalité des chances», pointe Camille Allaria. Cette intervention vient répondre à un sentiment d’abandon de la part de l’Etat que l’on observe dans les quartiers sensibles depuis «vingt, voire trente ans». Fabrice Gardon, ancien conseiller du préfet de police des Bouches-du-Rhône a participé à la mise en place de l’approche globale. «On s’est rendu compte que toutes les administrations, la police, faisaient en fonction de leur propre logique. On était dans une perspective de saupoudrage», précise-t-il. Ici, l’objectif était «de mener des opérations policières, tout en permettant aux services publics de se redéployer dans les quartiers sensibles», à l’image de la rénovation urbaine.
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L’infographie ci-dessous, décrit les différentes phases de présence des CRS dans la cité de La Sauvagère entre mars 2013 et septembre 2014.
Durant la première phase, correspondant au mois de mars 2013, la présence des CRS était quasiment continue, avec des effectifs compris entre 30 et 60 hommes. Cette démonstration de force a permis une «asphyxie temporaire du trafic», selon un rapport publié a posteriori.
La seconde phase, plus étalée dans le temps, a consisté en des retours ponctuels entre juin 2013 et juillet 2014. Ces interventions, d’une trentaine d’hommes, plus courtes et moins régulières ont permis d’assurer une présence et une visibilité aux forces de l’ordre.
Enfin, la dernière phase, à partir de juillet 2014, a donné lieu à une absence des CRS durant trois mois, jusqu’en septembre 2014. Les forces de police ont toutefois fait leur retour dès l’automne 2014, avec des effectifs quasiment équivalents à ceux du début de l’intervention à la Sauvagère.
La préfecture de police indique que cette présence s’accompagne d’interpellations régulières, réalisée tant durant des opérations qu’à l’occasion de contrôles.
Source : Allaria C., Raquet E., Weiss P.O., Evaluation de la “méthode globale” (Zones de sécurité prioritaires), Les Rapports de Recherche de l’ORDCS, n°6.
Un trafic enraciné
«Il y a une opération policière par jour dans les 13e et 14e arrondissement» constate un élu responsable de la sécurité dans les quartiers Nord pour qui «les opérations de police sont efficaces ». Et de poursuivre : «Quand une opération est menée dans une cité, au bout d’une demi-heure, les dealers sont ailleurs. Ils ont des plans B, voire C». Le déplacement des trafics, c’est précisément ce contre quoi le préfet de Police essaie de lutter. «Les CRS essaient de rayonner sur plusieurs cités». Mais cela n’empêche pas les bandes rivales de se livrer à des règlements de compte, sur fond de guerre entre les territoires. Pour l’année 2015, la préfecture de police des Bouches-du-Rhône en dénombre 12. Paradoxalement, ce n’est pas forcément le signe que l’approche globale ne fonctionne pas.
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«Quand on fait tomber des réseaux on les affaiblit», explique Laurent Nunez, qui estime que son action peut, à court terme «favoriser les règlements de compte». En clair, il faudra donc attendre encore un peu avant de pouvoir constater les effets tangibles de la méthode globale sur ces crimes.