Avoir 15 ans, cité des Lauriers
Il est 2h40, dans la nuit du 24 au 25 octobre, lorsque une arme automatique de calibre 9mm, rafale, en pleine vacances de la Toussaint, trois adolescents au pied d’un immeuble de la Cité des Lauriers (13e ardt).
Parmi les victimes, deux sont âgées de 15 ans et déjà connues des services de police pour des faits de petite délinquance. Avant de tirer, les auteurs présumés ont questionné les victimes sur un individu, relié au trafic de drogue, incitant les enquêteurs à envisager l’hypothèse d’un règlement de comptes. Le hall D de ce bâtiment est connu pour être un point de vente, précise une source policière.
Victimes innocentes ou victimes impliquées : comment de jeunes mineurs ont-il pu être mêlés à pareil drame dans une cité où un cinquième de la population est âgé de moins de 15 ans, selon l’Insee (2012).
Au mauvais endroit, au mauvais moment
Si, dans les Bouches-du-Rhône, seulement 16 % des individus impliqués dans des faits liés à la grande criminalité sont mineurs, selon la préfecture de police, les faits de petite et moyenne délinquance (violences légères, vols, dégradations, rackets) peuvent parfois conduire des jeunes à être concernés par un règlement de comptes. De nombreux mineurs ont effet déjà « un palmarès bien étoffé », indiquent à la fois une source policière et un habitant du 13ème arrondissement. « On voit des choufs [guetteur, NDLR] à partir de 12 ans», souligne un élu responsable de la sécurité dans les quartiers Nord.
Pour le criminologue Stéphane Quéré, le nombre de mineurs impliqués dans des faits de délinquance est lié au mauvais exemple donné par les guetteurs – qui gagnent 50 euros par jour dans une cité où le taux de chômage est élevé – et plus encore aux caïds, qui roulent en voiture haut de gamme et s’offrent régulièrement des vacances.
« Ça crée des envieux. Le temps de l’adolescence, les jeunes vont faire le guetteur et le dealer. Ensuite, deux options, ils quittent le quartier le temps de fonder une famille ou de décrocher un contrat à durée déterminée ou alors se lancent dans une carrière criminelle. », souligne l’expert en criminologie.
« A 15 ans, peu de gamins sont des caïds”, poursuit Stéphane Quéré. Mais la modestie de leur rang ne protège pas pour autant les mineurs : “soit on vise symboliquement le réseau par les petits dealers, soit on tire arbitrairement en ne visant pas forcément les bonnes cibles ».
L’école et les loisirs comme issues de secours
Kamal Z., 15 ans, une des victimes du triple homicide des Lauriers, ne semblait pas être la cible originelle des assaillants, selon la police. Elève en CAP béton armé au Lycée Polyvalent Diderot (13e ardt), il préparait son bac professionnel et était le meilleur élève de sa classe, d’après l’avocat de la famille, Maître Bellaiche.
Mohamed A., l’autre victime âgée de 15 ans, était scolarisé dans un collège en zone de sécurité prioritaire du quartier Blosne, à Rennes.
Les taux de scolarisation calculés, par tranche d’âge, dans le 13ème arrondissement ne sont pas si éloignés de la moyenne nationale (98.7%). Ils s’inscrivent dans une baisse générale du décrochage scolaire qui concernait 110.000 élèves sur tout le territoire en 2015, contre 136.000 en 2014.
“Les résultats sont encourageants, même si la communauté éducative doit maintenir ses efforts sur les plus jeunes, deux tiers des élèves décrochant à 15 ans, dès la fin du collège”, a prévenu la ministre de l’Éducation Nationale, Najat Vallaud-Belkacem, à l’occasion du premier anniversaire du plan national d’actions, “Tous mobilisés contre le décrochage scolaire”, le 1er décembre 2015.
Puisque le décrochage recule, c’est sur leur temps libre que les mineurs rejoignent les réseaux de trafic. Aussi est-il crucial d’empêcher les jeunes de tuer le temps au pied des immeubles, explique Othman Sahki, dirigeant du club de football Loisir Malpassé, que fréquentait l’une des victimes.
« Parmi nos 40 jeunes licenciés des cités avoisinantes, le football constitue une passion et un vecteur d’échange. En bref, un moyen de changer d’environnement”, poursuit-il.
Depuis son inscription en 2014, Kamal Z. venait d’ailleurs souvent aux entraînements. « Il avait des relations saines et amicales avec ses camarades ». Après sa mort, il a fallu beaucoup discuter au sein du club, pour les réconforter, conclut M. Sahki.
Rester prudent sur les mots
Pour empêcher que les drames se répètent, il faut également choisir ses mots avec précaution, explique un journaliste marseillais, qui a préféré conserver l’anonymat. “Ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas enfants de chœur qu’on doit en parler avec tant de violence verbale » explique-t-il : à force d’entendre résonner à leurs oreilles les mots apparemment ludiques de « matchs retours » ou « barbecue », certains peuvent minimiser la portée des crimes qu’ils recouvrent.
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Depuis 1996, 37 jeunes de moins de 15 ans ont été victimes d’homicides dans le département des Bouches-du-Rhône avec une variabilité de 0 à 2, selon les années. Avec l’affaire des Lauriers le 25 octobre dernier, l’année 2015 en comptera deux. Deux de trop.