Un effet pervers du démantèlement des trafics
Abdallah A. a été assassiné le 19 juin, au pied d’un immeuble des quartiers Nord. Sa mort intervient un mois après le démantèlement d’un trafic de stupéfiants dans une cité voisine qui a entraîné une guerre de territoires dont il a pu être la victime, selon une source policière.
Avenue Saint-Paul, Cité des Bleuets, Marseille (Google)
Sous un porche de la cité des Bleuets (13ème ardt), Abdallah A. reçoit une première balle. Il est environ 23H00. Mais en ce 19 juin, deuxième jour de ramadan, des enfants jouent encore dans le petit square, au bas des tours.
D’après La Provence, le tireur est seul et cagoulé. Abdallah, blessé, reçoit deux autres balles avant d’atteindre la porte d’un appartement. Il se réfugie chez un voisin, qui l’emmène à l’hôpital militaire Alphonse Laveran. Mais il ne survit pas à ses blessures. Il meurt à 1H00 du matin.
A 28 ans, Abdallah était connu des services de police pour des affaires de stupéfiants, sans être un “gros profil” d’après l’AFP. “L’enquête est en cours”, indique simplement une source policière contactée par téléphone. Une autre source policière, citée par Le Figaro avance une hypothèse : “il y a de fortes probabilités mais pas de certitude sur le mobile. Un gros réseau de trafic de stupéfiants avait été démantelé dans ce secteur il y a un mois”.
Le 18 mai, en effet, près de 300 policiers avait opéré un vaste coup de filet permettant d’interpeller plus d’une vingtaine de personnes dans la cité des Lauriers, située à 900 mètres de la cité des Bleuets.
Si la mort d’Abdallah A. a un lien avec ce démantèlement, ce ne serait pas une première. L’opération policière a également précédé un règlement de compte survenu le 25 octobre dans la cité des Lauriers. Laurent Nuñez, préfet de police des Bouches-du-Rhône, expliquait alors au micro de RTL que le quartier, déstabilisé, était la cible d’une guerre de territoire entre réseaux adverses. “Il y avait des tentatives de reprises et on peut penser que le règlement de compte [du 25 octobre] est sans doute lié à cette tentative.”
Selon lui, la mort de Mohamed A. 15 ans, Kamal Z. 15 ans et Abdelmalik A. 23 ans peut être la conséquence du démantèlement du trafic de la cité des Lauriers.
Même scénario, en juillet dernier, après le démantèlement du réseau du plan d’Aou, qui, d’après 20Minutes, avait permis de saisir 30 kilos de cannabis et d’interpeller quatre trafiquants. Un règlement de compte est survenu trois mois plus tard, le 12 octobre 2015, dans la même cité.
Quand un réseau est frappé par un démantèlement, il est affaibli.
Stéphane Quéré - spécialiste de la criminalité et du trafic de drogue.
D’après Stéphane Quéré, le démantèlement des trafics de drogues déstabilise l’organisation du trafic. Le réseau a alors deux manières de se reconstruire. “Il se réorganise soit en interne, avec les anciens lieutenants qui sont en liberté et qui vont reprendre la main sur le territoire démantelé. Soit ce sont des réseaux concurrents qui vont vouloir mettre la main sur tel ou tel point de deal, car ça représente une grande valeur économique”. Et pour s’emparer de ce qui reste du réseau, la concurrence est prête à tout. “Si le réseau est suffisamment affaibli pour faire allégeance à un autre réseau, la concurrence a forcément recours à la violence. Il va y avoir une pression physique, une démonstration de force d’un réseau sur un autre. Et donc les règlements de compte, ça peut arriver.”
Et les forces de police ont conscience de ces effets de bord.
Malheureusement oui, l’action qu’on mène favorise les règlements de compte, à court terme.
Laurent Nuñez - préfet de police des Bouches-du-Rhône
Les règlements de compte surviennent en fait souvent quelques semaines ou quelques mois après le démantèlement du réseau. Un court délai qui permet de les identifier comme une conséquence du démantèlement.
Mais la déconstruction des réseaux a d’autres conséquences, moins visibles, à plus long terme. Quand les trafiquants incarcérés sont remis en liberté, une nouvelle guerre de territoire survient.
“Quand ils sortent de prison, soit ils sont intégrés au réseau qui a survécu, soit ils vont vouloir récupérer leur place d’antan. Et ça peut aller au carton. Une nouvelle fois, il peut y avoir des règlements de compte”, confirme Stéphane Quéré.
Les exemples sont nombreux. En avril 2014, deux hommes à peine sortis de la prison de Lyunes, Yassine A. et Mehdi B., sont abattus dans leur voiture, sur l’autoroute. En mars 2013 déjà, un détenu est exécuté cinq minutes après avoir été libéré de la prison des Baumettes.
Si cette chronologie n’est pas exhaustive, elle permet de mettre en évidence l’apparition de règlements de compte après les démantèlements. Pour le cas d’Abdallah A., l’enquête doit encore confirmer que son assassinat a bien un lien avec le démantèlement du réseau des Lauriers, un mois plus tôt.
Face aux conséquences mortelles des démantèlements, la police a une responsabilité, selon Stéphane Quéré. “Le problème c’est qu’en France la police est réactive. Elle commence une enquête sur les faits, après un flingage.” Pour le spécialiste, il faudrait une police pro-active, c’est-à-dire capable d’identifier les acteurs avant qu’il n’y ait de règlements de compte. “Mais ça commence à changer.”
LIRE AUSSI : “Marseille, l’approche globale à l’épreuve des faits”