Mourir à 18 ans
Il avait 18 ans. Il est mort par balles le 12 octobre dernier au bas d’une cité sensible du plan d’Aou, dans le 15ème arrondissement de Marseille.
Il n’a eu droit ni à une marche, ni à un hommage. “Il”, c’est d’ailleurs le seul moyen de désigner ce petit trafiquant, au parcours rendu “anonyme” par l’affaire judiciaire que sa mort a déclenchée.
Son identité n’a pas été dévoilée au grand public et les habitants se refusent à en parler. Cet enfant des quartiers Nord est pourtant emblématique d’une génération marginale, éloignée des parcours scolaires classiques et cible d’aînés déjà impliqués dans le trafic de drogue.
Samia Ghali, qui s’est rendue surles lieux après les faits, raconte sur France Bleu Provence : “ce qui m’a le plus surpris : le corps de la victime n’a pas eu le temps de refroidir et les jeunes étaient déjà revenus sur place pour continuer leur trafic.” La sénatrice et maire du 15ème et 16ème arrondissements ajoute : “c’est comme si cette tragédie ne les atteignait pas.”
Mourir jeune et dans l’indifférence, c’est ce qui guette ces trafiquants de première ligne, prêts à prendre tous les risques pour survivre, se faire un nom, sans mesurer les risques encourus.
Le corps de la victime n’a pas eu le temps de refroidir et les jeunes étaient déjà revenus sur place pour continuer leur trafic.
Samia Ghali
Parcours d’un chaos
Dans le 15ème arrondissement de Marseille, les collèges publics ne dépassent pas les 75% de réussite au brevet, quand la moyenne nationale est de plus de 86%. Salim Grasbi, du Collectif des quartiers populaires explique au micro d’Europe 1 que les jeunes des quartiers Nord de Marseille représentent 50% des collégiens de la ville mais “plus que 25% des lycéens”.
Ces chiffres en disent long sur les difficultés de ces quartiers, et plus généralement, du département. Le redécoupage de cette zone en grande métropole, qui deviendra effective en janvier 2016 n’est pas de bonne augure selon les derniers chiffres de l’Insee. Fortement touchée par le chômage (12,5% au premier trimestre 2015 pour Marseille-Aubagne), les difficultés socio-économiques de la région expliquent en partie le développement de la violence dans ces “quartiers”. Ainsi, le passage à la métropole pourrait agraver la situation dans ces contextes.
“Mon fils, il est sage, mais trouvez-lui du travail”, résume une habitante du plan d’Aou, interrogée par téléphone. L’échec scolaire, la difficulté à trouver un emploi et le sentiment d’exclusion sont les facteurs qui incitent souvent ces jeunes à chercher de la reconnaissance ailleurs. C’est à ce stade qu’ils sont “récupérés” par leurs aînés, toujours à la recherche de petites mains pour mieux tenir les cités explique Stéphanie Harounyan dans Libération Guetteur au départ et puis très vite petit revendeur, l’appât du gain comme de la renommée sont les tickets d’entrée dans ce cercle vicieux de la délinquance.
Passer ses journées à attendre à l’entrée d’une cité pour parfois des sommes modiques (entre 40 et 100 euros pour 8 à 10 heures de travail, selon Libération) n’est pas le rêve de tous les adolescents. Mais, Mohamed Marwan, spécialiste des phénomènes de bande et de la ségrégation urbaine explique dans un ouvrage sur la question que les motivations de ces jeunes sont nombreuses : “attachement au quartier et allégeance à son pôle déviant, proximité avec les acteurs de la délinquance, rejet intense de la police et de l’ordre social qu’elle représente”.
Deux semaines après le décès de ce jeune homme, deux autres adolescents, de 15 ans cette fois, ont trouvé la mort au cours d’une fusillade dans la région marseillaise où les règlements de compte ont déjà fait, en 2015, au moins un mort de plus qu’en 2014.