Tranquille le jour, ombrageux la nuit
Le 13 septembre 2015, à proximité de l’Opéra, Laszlo T., un videur hongrois du O’Stop Bar tombe sous les balles d’une kalashnikov . Un choc dans ce quartier hétéroclite du centre de Marseille, tranquille le jour, ombrageux la nuit.
«Le O’Stop c’est le bar dans lequel on va le midi manger un oeuf mayo’ ou un sandwich boulettes le soir», raconte une commerçante du quartier de l’Opéra qui a souhaité garder l’anonymat. «C’est tombé sur ce café là comme ça aurait pu tomber sur un autre», ajoute-t-elle.
Le restaurant est connu pour être l’un des rares établissements de la ville à être ouvert sans interruption. «24h/24H» lit-on en lettres dorées sur l’auvent bordeaux du restaurant situé face au parvis de l’Opéra.
O’Stop bar - source Google Street View
Les fêtards s’y retrouvent après une soirée dans les discothèques des alentours à l’image d’Hervé qui a fréquenté le lieu de nombreuses années : «C’est un endroit où se rejoignent ceux qui appartiennent au monde de la nuit parce que c’est l’un des rares lieux où on peut manger chaud vers 5h ou 6h du matin. Le restaurant est un peu moins cher que le Mas [autre restaurant marseillais ouvert la nuit], alors la clientèle y est plus diverse : il y a des personnes aisées, d’autres qui ont des situations précaires, des amateurs d’Opéra qui veulent grignoter un morceau après une représentation et des jeunes qui souhaitent manger quelque chose après une soirée en discothèque».
L’Opéra de Marseille - source Google Street View
On peut même y retrouver des hommes politiques. Gil Nicholaï, adjoint à la mairie du 1er arrondissement chargé de la sécurité dit s’y rendre de temps en temps. L’élu connaît bien le bar mais aussi le quartier fréquenté par des personnes aux niveaux de vie variés.
«Le quartier n’est pas particulièrement sujet à la délinquance, selon lui. Il l’est moins que certains quartiers du nord de la ville ou que le quartier de Noailles, situé à proximité».
La mairie a tout de même renforcé les patrouilles et contrôles de police pour répondre à l’inquiétude des habitants qui ont déjà été confronté à un événement semblable deux ans plus tôt.
En 2013, le quartier avait été le théâtre d’une autre fusillade : trois hommes avaient été blessés suite à un différend. Hervé lui-même a été agressé dans ce quartier il y a une quinzaine d’année. Pourtant, il ne considère pas le quartier comme sensible ou dangereux.
Il ne faut pas confondre beauté et aseptisation, ce quartier est beau avec ses imperfections et sa diversité, c’est comme un tableau qui regorge de détails
Un habitant du quartier de l’Opéra
Bastien y habite et le décrit lui comme un «quartier branché et vivant où se mêlent boutiques de luxe, petits commerces, lieux culturels et où vivent des personnes aisées et d’autre, plus modestes». Marseillais, il apprécie son quartier à l’esthétique singulière : «il ne faut pas confondre beauté et aseptisation, ce quartier est beau avec ses imperfections et sa diversité, c’est comme un tableau qui regorge de détails, de loin ça paraît peut-être un peu flou mais c’est ça qui fait sa beauté».
Le quartier a été construit au XVIIe siècle lors de l’agrandissement de la ville, explique Cécile Regnard, maître de Conférences en histoire contemporaine à l’Université d’Aix-Marseille. Il a d’abord été habité par des bourgeois puis est devenu plus populaire.
Sa réputation festive s’est forgée au fil des siècles. «Des bars et des maisons de jeu ouvrent dès la moitié du XIXe. C’est aussi là que les membres de réseaux criminels venaient récupérer l’argent du jeu et de la drogue, aujourd’hui c’est un endroit où les personnes aisées comme les plus populaires habitent», précise Mme Regnard.
«C’est aussi un quartier qui se situe près de l’hôtel de ville, autour duquel la prostitution s’est développée. Elle a été encadrée en 1863, n’a pas cessée mais est devenue clandestine», ajoute-t-elle. Encore aujourd’hui le quartier est concerné : neuf bars à hôtesses ont été fermés en fin d’année pour des faits de proxénétisme, rapporte La Provence.