En famille
Le tunnel du Prado est un point de passage obligé pour nombre de Marseillais. Dans la nuit du lundi 9 au mardi 10 novembre, il est le théâtre d’une scène de guerre d’une rare violence, immortalisée par les caméras de surveillance.
Kalachnikov, grosses voitures, douilles par dizaines : tous les ingrédients d’un bon film d’action. Pour ajouter au drame, deux frères occupent le centre de la scène. Ils illustrent une caractéristique fréquente des règlements de compte : le choc entre liens de sang et criminalité.
La police identifie rapidement les victime de l’embuscade : Anthony C. succombe de la suite de ses blessures, et surtout : Mohamed M. alias « Babouin », tué sur le coup. Deux autres occupants réussissent à s’échapper, dont Omar, l’un des cousins de Mohamed.
Ce dernier faisait figure de « caïd » dans les quartiers nord de la cité phocéenne. Déjà condamné pour homicide volontaire, il avait aussi été interpellé en possession d’armes, de 87.000 euros en liquide et de 52 Kg de cannabis.
« Babouin » n’en était pas à sa première affaire. Il venait d’être libéré en août après 2 ans et demi de détention provisoire. Les enquêteurs envisagent rapidement un lien avec une précédente fusillade : celle de la cité des Lauriers, 15 jours plus tôt.
Causant la mort de trois jeunes hommes, cette expédition punitive aurait été montée par « Babouin » pour venger la mort de son frère Nasseri, retrouvé avec 9 balles dans le corps en 2012.
La dimension familiale du litige saute aux yeux, avec trois individus d’une même fratrie impliqués dans une série de vengeances sanguinaires. Un seul est encore vivant.
Les frères Hornec dans les années 1990, les frères Jourdain en 1997 : les exemples passés à la postérité criminelle ne manquent pas. Et, avec ses règlements de compte, Marseille ne déroge pas à la règle : à l’image du cas emblématique des frères Nicolas et François B. : réputés impitoyables. Originaires de la cité des Cèdres, ils sont soupçonnés d’assassinats, rapts et trafics.
Travailler en famille constitue, dans le milieu, un réel avantage. La trahison y fait figure d’exception. Un journaliste marseillais, qui préfère conserver l’anonymat, explique que la confiance figure au centre de tout système criminel : or elle « est plus grande dans une même famille. Pas besoin de s’entretuer entre frères pour les gains, il n’y a qu’à partager, et effectivement c’est plus facile d’être en confiance avec des gens qu’on connait aussi bien que ceux de sa propre famille ».
Un avis partagé Stéphane Querré, criminologue. Selon lui, les associés de ce type d’affaires sont souvent issus de la même famille ou encore amis d’enfance. Il voit dans cette proximité l’origine d’une surenchère dans la violence : « cette double dimension est dangereuse : les affaires et les liens de sang. Lorsqu’on cherche à venger l’honneur de la famille, les deux dimensions se percutent ». D’ou la difficulté, évidente, pour la police d’approcher ces cercles très fermés.
Les implications familiales pourraient ainsi expliquer en partie les engrenages de violence qui secouent la ville depuis des années, à l’image de « Babouin », tué en représailles à la vengeance présumée de son frère. Les rivalités entre bandes deviennent claniques. Dès lors qu’un ennemi est identifié, son entourage, sa famille deviennent une cible.
La famille peut-elle devenir un outil pour lutter contre la criminalité ? Ou mieux la comprendre. Scott Decker, criminologue américain de l’université d’Etat de l’Arizona, s’est penché sur les logiques d’incitation familiale. Il en déduit que 80% des jeunes délinquants étudiés n’ont jamais eu de parent dans les gangs. En revanche, près de la moitié d’entre eux ont un grand frère déjà impliqué dans la criminalité.
L’influence de ces « guides informels » (Marwan Mohammed, La formation des bandes, PUF) est réelle et doit être mieux comprise, sinon les fratries continueront de peupler, coude-à-coude, les bancs des tribunaux comme Adbelatif et Mohamed, deux frères accusés avec un troisième homme d’un triple homicide au soir de Noël 2011.