« Barbecue »
Le 30 novembre, une nuit calme, dans ce petit quartier de la Batarelle, au nord du 13ème arrondissement de Marseille, des riverains donnent l’alerte: une voiture incendiée se consume rue de la Gardiette, juste devant la barrière du chemin d’accès au Pic de l’Etoile. Les marins-pompiers sont dépêchés sur place et font la macabre découverte d’un corps étranglé, pieds et poings liés.
Très vite, on suppose un règlement de compte, à cause de l’emploi de cette technique caractéristique du « barbecue ». Pour la police, elle est synonyme de trafic de stupéfiants : la victime, tuée par balle, est ensuite brûlée dans l’incendie d’un véhicule. Mais l’enquête en cours n’entérine pas encore cette théorie: « il n’a pas été tué par balle mais étranglé », précise-t-on à la police judiciaire.
Depuis le début de la décennie, la police observe une recrudescence de ce type d’homicides qui font écho une autre série survenue dans les années 2000, dans le sillage d’un criminel baptisé “le rotisseur”. A-t-il un successeur ? Une deuxième vague de meurtres est-elle lancée ?
6 corps calcinés entre 2014 et 2015.
2 considérés comme des règlements de compte par la police
Du fait-divers, les “barbecues” gagnent la chronique judiciaire. Le 9 décembre, la cour d’assises d’Aix-en-Provence ont entrepris de juger le triple meurtre de Sonny A., Nouri O. et Mohamed B., trois hommes dont les corps criblés de balles avaient été découverts le 25 décembre 2011, dans une Audi A3 noire en flammes. Sur le banc des accusés, un commanditaire, Sami A. et deux exécutants Abdellatif L. et Mohamed L.. Malgré les difficultés à mettre en évidence des preuves tangibles de leur culpabilité, et un “dossier de rumeurs” d’après les avocats de la défense, la cour d’Aix a requis la perpétuité assortie de 22 ans de sûreté à l’encontre des trois accusés, rapporte le journal La Provence le 17 décembre dernier.
Cette affaire, qui a pour toile de fond le contrôle du trafic de drogue dans la cité des Micocouliers, est la dernière à suivre le schéma classique établi dans les années 2000 impliquant des rivalités de bandes organisées sur fond de trafic de stupéfiants et de luttes territoriales, et l’assassinat suivi de la combustion du cadavre dans une voiture en guise de représailles. Depuis, les cas s’écartent de plus en plus de la définition “traditionnelle”.
Sur les six derniers cas recensé au 10 décembre 2015, la police considère que 2 seulement sont de “vrais” barbecues, contre 20 règlements de compte recensés cette année par la préfecture de police des Bouches-du-Rhône.
Le 30 novembre, à la Batarelle, riverains et sauveteurs ont immédiatement reconnu le procédé, qui résonne dans l’imaginaire collectif de la cité phocéenne. Dans un article de La Provence, un marin-pompier témoigne : «à chaque feu de ce genre, on se demande si l’on va faire une découverte macabre ».
Mais la police est partagée, car le mode opératoire n’est pas nominal : la victime n’a pas été criblée de balle, l’autopsie – rendue difficile par la combustion – n’a pas encore déterminé les causes exactes de la mort et les poings liés ne sont pas communs dans les « barbecues ».
Selon une source policière, la victime, née en 1992, est connue des services pour des faits de petites délinquance mais n’est pas impliquée dans le trafic de stupéfiants: ce profil renvoie à un différend qui ne serait pas lié à une activité criminelle, et ne correspond donc pas à un règlement de comptes. Un article du Parisien paru le 15 décembre 2015, citant un enquêteur, affirme toutefois que “L’exécution d’Anthony L. (nom de la victime révélé à la suite de l’enquête policière NDLR.) pourrait être le match retour au meurtre du fameux “Babouin” au tunnel du Prado, vengé par ses complices”
Pour Anne Kletzlen, docteur en droit et spécialiste du banditisme dans la région de Marseille, cette technique « est certainement moins utilisée que ce que l’on pense même si ces dernières années, elle a été beaucoup pratiquée, notamment dans les cités ».
Il joue sur le match retour car il crée une haine supplémentaire
Anne Kletzlen - docteur en droit et spécialiste du banditisme local dans la région de Marseille
L’universitaire ajoute que « la pratique est liée aux règlements de comptes; dans le Midi, elle a d’abord été utilisée par le grand banditisme corso-varois, puis par le néo-banditisme marseillais ». Selon Stéphane Querré, spécialiste de la criminalité et du trafic de drogue, le « barbecue », par le côté spectaculaire et l’humiliation qu’il provoque, envoie un message : « il joue sur le match retour car il crée une haine supplémentaire ».
- 7 cadavres calcinés dans des voitures entre 1998-2006
- 2005 - relaxé pour une association de malfaiteurs autour de machines à sous
- 2006 Il meurt fusllé à la brasserie marseillaise Les Marronniers (13E)
Dans les années 2000, Farid B., jeune malfaiteur marseillais surnommé le « Rôtisseur », popularise la pratique. Le « barbecue » devient une signature des luttes territoriales et d’influence des grands gangs, autour de l’affaire dite des machines à sous, qui cristallisait les rivalités pour le contrôle de cet argent autour de l’étang de Berre, zone d’influence de Farid B. Faute de preuves, ce dernier n’est pas condamné pour ces possibles assassinats.
On comptabilise sept cas dans les années 2000. Tous répondent au même schéma: les victimes sont connues des services de police, et ont déjà été condamnées. Originaires des quartiers nord de Marseille, elles sont souvent considérées comme des grands chefs des bandes des cités.
Loin des caïds des années 2000, les “rotisseurs” d’aujourd’hui semblent réutiliser les codes de leurs aînés en les étendant à d’autres sphères que les traditionnelles guerres de bandes rivales. Les derniers cas ne sont pas la résurgence des années 2000, mais plutôt l’effet d’une vulgarisation de la pratique - une analyse sur le néo-banditisme que développent Julien Dufour et Abdelfettah Kabssi, respectivement commissaire et capitaine de police, auteurs de Bandes, Dérive criminelle & terrorisme - employée maintenant par les tout petits délinquants, pas assez « gradés » pour être considérés comme cibles de règlement de compte.